L’incidence des guerres 

De tout temps, les guerres ont creusé des sillons de feu et de sang ; malheur à celui qui se trouvait sur le chemin des armées !
La guerre de 14 / 18 a innové : elle ne s’est pas déplacée, mais elle a fait venir, de toutes les régions de France métropolitaine et coloniale (ne l’oublions pas trop vite), des effectifs énormes de soldats, pour les massacrer dans la boue.
Hormis les habitants de la portion de territoire où les combats ont eu lieu, ce sont donc des militaires qui en ont été les victimes.
Mais, parce que le système de conscription concernait les jeunes hommes, parce que la mobilisation des réservistes visait, en priorité, les moins âgés, parce que la France d’alors était encore très rurale et parce que les jeunes ruraux étaient plus aptes à creuser des tranchées et à mener des attelages de chevaux, ce sont surtout les jeunes paysans qui ont payé un lourd tribut.

Pendant l’hiver 1914/1915, le front occidental se garnit d’un réseau de tranchées profondes où les combattants s’abritent des projectiles. C’est le début d’une véritable guerre de siège qui va durer plus de trois années et pendant laquelle, au prix des pires souffrances, il s’agira d’user lentement l’adversaire.

Notre village, éloigné du front, n’a pas souffert de destructions matérielles et, en fait d’armées, n’a pratiquement vu que des soldats en repos à l’arrière.
Mais les instances communales (Conseil Municipal, Sapeurs Pompiers) étaient désorganisées par l’absence de plusieurs de leurs membres, les restrictions étaient sévères et se sont prolongées, les libertés étaient réduites et les déplacements surveillés.
Alors qu’il fallait subvenir aux besoins de l’armée en vivres et en chevaux, tous les hommes valides étaient mobilisés et avaient dû laisser leur ferme aux soins de leur épouse, de leurs vieux parents ou de leurs garçons encore adolescents.

Treize de nos jeunes hommes ne sont jamais revenus de cette boucherie.

Mais treize jeunes hommes tués (voir : Le monument aux morts) cela veut dire aussi :
– 13 jeunes femmes qui n’ont pas trouvé de maris, ou qui l’ont perdu prématurément
– 20 ou 30 enfants qui n’ont pas vu le jour dans les années 20 (ils auraient eu 20 ans en 1940)
– 30 ou 40 naissances en moins à la génération suivante (ils auraient 50 ans aujourd’hui)
– et toutes les conséquences que cela implique pour la vie actuelle du village
Et ce fut en plus :
– 13 paires de bras que la mécanisation ne savait pas encore remplacer
– 13 chefs d’entreprise ou employés en moins
– des fermes sans exploitants et des terres abandonnées
D’où une profonde modification de la vie rurale, d’autant que, en raison des liens parentaux et matrimoniaux, très rares étaient les familles épargnées (voir : Effectifs et patronymes).

Au contraire de la précédente, la seconde guerre mondiale a vu, après un semestre d’inactivités (la drôle de guerre), une invasion très rapide et sans grandes batailles, suivie d’une longue et douloureuse occupation de la quasi totalité du territoire, avec une présence ennemie plus pesante dans les villes que dans les campagnes.
Elle s’est terminée par une libération sanglante, surtout à cause des exactions des militaires ennemis.
Par ailleurs, les bombardements et autres destructions, tant lors de l’invasion qu’à la libération, visaient les installations stratégiques (ponts, usines, gares) qui étaient généralement proches des centres urbains.
Les nombreuses déportations, souvent suivies d’exterminations massives, qui ont marqué l’occupation, concernaient essentiellement des groupes ethniques, des partis politiques ou des groupes de résistance ; les victimes, et elles furent très nombreuses, étaient donc issues de l’ensemble de la population – âges, sexes, professions et situations familiales confondus – avec néanmoins, plus d’urbains que de ruraux.

En ce qui nous concerne, un jeune homme a payé de sa vie lors des combats tentant d’enrayer l’invasion.

Cette invasion a successivement transformés en émigrés ou en réfugiés, des belges qui venaient en France, des ardennais qui se réfugiaient en Champagne ou des champenois qui fuyaient en Bourgogne. Cela reste certainement un des épisodes les plus marquants de cette première partie de la guerre.
L’exode a jeté sur les routes, dans une pagaille indescriptible, tout ce qui pouvaient transporter le maigre baluchon des habitants affolés, qui fuyaient devant l’avance d’une armée bien plus rapide qu’eux.
L’occupation dura de longues années au cours desquelles toutes sortes de restrictions s’imposaient à la population.

Cela concernait la liberté de circuler et de vendre ses productions, ou bien, les conditions d’approvisionnement, des tickets avaient été de nouveau instaurés pour tous les produits.

Ce qui a conduit les campagnards à vivre en quasi autarcie et obligé les urbains à des systèmes de débrouille qui ont quelquefois dérapé : c’était l’époque du fameux Marché noir.
Mais en écho à l’appel du 18 juin du Général De Gaulle : la résistance s’était organisée, très souvent soutenue à grands risques par la population civile.

Cette sombre période a été, ici, marquée, entre autres, par deux évènements qui auraient pu avoir des conséquences tragiques :
– les récoltes de toutes natures étaient étroitement comptabilisées et les agriculteurs devaient fournir des contingents importants à l’armée allemande ; pour freiner ces livraisons, la résistance a fait exploser , la nuit du 26 août 1943, la batteuse installée depuis la veille dans la grange alors située à l’actuel 49 rue Royale. Un important incendie s’en est suivi, que les pompiers ont eu bien du mal à maîtriser
– le 23 août 1944, veille de la libération, une unité de l’armée allemande, cantonnée dans nos murs, avait décidé de détruire deux de ses véhicules en panne dans la cour de l’actuel 26 rue Royale. Le propriétaire et ses fils, jugés trop lents à exécuter les ordres d’évacuation hurlés par un officier, ont été conduits, manu militari, dans la propriété voisine pour y être fusillés séance tenante. Ils n’ont échappé au peloton d’exécution, déjà installé, qu’à la dernière seconde, grâce à l’intervention d’une réfugiée qui parlait bien la langue allemande

Pour terminer sur une note plus cocasse, signalons qu’au deuxième trimestre 1944, l’armée d’occupation avait mis en construction, à Dierrey Saint Julien, un blockhaus pour lequel il fallait des matériaux de construction. Les allemands ont donc réquisitionné une vieille maison, sise à l’actuel 11 rue Royale, pour y prélever les pierres et les briques dont ils avaient besoin. Les cultivateurs du village devaient transporter ces matériaux, en août 44 jusqu’à Dierrey, évidemment, les militaires surveillaient les chargements et les déchargements des tombereaux, mais ils n’avaient rien prévu sur le circuit du transport et les charretiers ne se gênaient pas pour se délester de quelques cailloux tout au long de la route et ainsi alléger leurs chargements. Finalement, le blockhaus n’était pas terminé quand les américains sont arrivés !

La libération s’est déroulée dans l’allégresse, surtout pour les enfants qui découvraient, grâce à la générosité des soldats américains, le fameux chewing gum, le chocolat et les bonbons acidulés !
Les adultes également, ont manifesté leur joie et la cloche de l’église doit se souvenir encore d’avoir carillonné pendant des heures sans discontinuer.
La fin de la guerre, près d’un an plus tard, permit d’une part, le retour des prisonniers dans leurs foyers, d’autre part, le retour des émigrés vers leur pays d’origine. Mais ces multiples brassages de populations avaient provoqué des échanges et fait naître des idées nouvelles sur de nombreux sujets, notamment sur les conditions de vie à la campagne et sur les moyens d’exploiter la terre. Ces idées, bonnes ou moins bonnes, allaient trouver leurs applications dès les années suivantes et préparer le cadre de vie que nous connaissons.

Pour des raisons bien compréhensibles, très peu de photographies ont été prises durant cette période…